mardi 21 avril 2015

Barkley 2014


Un petit tour… en enfer ! 
Rémy Jegard, est journaliste sportif à Running Mag, inscrit à la légendaire Barkley, ultra-trail réputé le plus dur au monde, il nous livre un récit poignant sans faux semblant. 
Toute la journée passée à m’accrocher, à serrer les dents pour ne pas perdre le petit groupe qui est avec moi. Je n’ai pas le choix. Nicki, l'Australienne, connait si bien son affaire. Elle navigue avec sa boussole comme un marin au long cours. Si je la perds du regard, je me perds. L’équation est aussi simple que cela. Je laisse quelques mètres ici à me dégager d’une zone de ronces plus denses que les autres. Je n’ai pas mis de vêtements longs pour débuter. Première erreur. J’aurai dû. Je me lacère littéralement les jambes pour garder le contact.Je serre les dents. La plaie dans mon cœur est plus grande encore que celles qui s’ouvrent sur mes jambes. Car je sais déjà que je ne ferai jamais trois tours dans ces conditions. Je n’ai jamais levé la tête pour souffler. Je ne vois que les pas de celui qui me précède. Je reviens sur mes compagnons de fortune au gré d’une zone plus dégagée. Et l’horloge tourne. Déjà huit heures que l’on galère ainsi. Je ne m’attendais pas à ça. Mais qui aurait pu s’y attendre ?Des pentes à 40% et des descentes en suivant, des murs à escalader où l’on s’aide des mains pour ne pas tomber, pour ne pas reculer. Ou les mains agrippent les ronces et saignent à leur tour.
Je serre les dents. Et puis survient le petit passage à vide. Après dix heures sans stopper. Au bout du bout de l’effort. Tout en haut du passage le plus abrupt. Le Chimney Top. Ascension à la frontale. Je déchire ma dernière page. Le mental ne suit plus. Je souffle un peu pour m’alimenter. Les autres me laissent là. Je n’aurais échangé que deux phrases en tout et pour tout avec eux. Je les perds de vue. Pour quelques kilomètres de trop…La température est retombée. Il fait en dessous de zéro maintenant. Je ne suis pas assez couvert. Deuxième erreur. Le corps est faible. Je me perds. Situation tant redoutée. Je sors la carte. Celle que j’ai serrée dans ma main gauche durant toute la journée. Il est 21h30 déjà. On n’y voit plus rien à deux mètres. Pas de balisage, pas d’indication. Juste des arbres et des rochers. Des arbres et des rochers. Je commence à trembler de froid. Je ne peux pas m’arrêter. Je dois continuer. Je pense à ceux qui sur une épreuve il y a deux ans en France ne s’en sont pas relevés. Pourquoi des idées aussi noires dans cette nuit sans étoile ? Cela ne peut pas m’arriver. Pas ici. Pas maintenant. Je serre les dents.Je pense à ma fille. Elle doit dormir dans son petit lit douillet. Je ne lui ai pas raconté son histoire ce soir. Elle qui commençait aussi à s’inquiéter de cette épreuve si mystérieuse. Elle qui avait senti que cette fois les choses n’étaient pas tout à fait comme d’habitude. En cet instant précis, j’ai peur. Je me dis que je suis peut-être allé trop loin. J’enfile mes gants. Je replace mon buff. Les forces me manquent. Je reviens un peu en arrière pour attendre quelqu’un. Pour assurer le cap. Mais on est si peu nombreux en course, que je me dis que ça peut durer longtemps. Trop longtemps… Après une demi-heure à errer ainsi, j’aperçois enfin une frontale.
« Go, go my friend… This is the good road! »Il est 22h45 quand je tape enfin sur cette fameuse « yellow gate ». Un tour dans les temps. Un tour pour l’éternité. Les autres sont déjà repartis. Je suis seul au monde. Je n’ai pas le choix. Je stoppe et le clairon me signifie que je suis mort. En vie, certes, mais plus vraiment pour la Barkley ! De tous mes compagnons de route, j’apprendrai plus tard qu’aucun n’aura fini son deuxième tour dans les délais… Amen !


Barkler website unofficial //  La vidéo de l'édition 2014 avec le transcript français

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